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Premier avis consultatif de la CEDH : pas d’obligation de transcrire la parentalité d’intention pour les enfants nés d’une GPA à l’étranger

Civil - Personnes et famille/patrimoine
10/04/2019
La Cour européenne des droits de l’homme a rendu son premier avis consultatif : les États n’ont pas l’obligation de procéder à la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né d’une GPA à l’étranger pour établir son lien de filiation avec la mère d’intention, l’adoption pouvant être une modalité de reconnaissance de ce lien.
Cette saga judiciaire mérite qu’on en rappelle à titre liminaire les grandes étapes.
Le 5 octobre dernier, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation était saisie, pour la première fois par la Cour de réexamen des décisions civiles dans des affaires où était en cause la transcription à l’état civil français d’actes de naissance dressés à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui (GPA) ou de soupçons de gestation pour autrui (Cass. ass. plén., 5 oct. 2018, n° 10-19.053, P+B+I).
En effet, l’article 16-7 du Code civil disposant que toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle, la Cour de cassation avait d’abord refusé la transcription en France d’actes de naissance d’enfants nés à l’étranger d’une mère porteuse. Toutefois, à la suite de deux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme le 26 juin 2014 (CEDH, 26 juin 2014, aff. 65192/11 et CEDH, 26 juin 2014, aff. 65941/11), qui ont jugé que ce refus constituait une violation du droit des enfants ainsi privés de l’établissement d’une filiation au respect de leur vie privée, la Cour de cassation a jugé que l’existence d’une convention de GPA ne fait pas obstacle à la transcription à l’état civil d’actes de naissance qui ne sont ni irréguliers ni falsifiés et déclarent des faits conformes à la réalité (Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, n° 15-50.002 et Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, nº 14-21.323, Bull. civ. ass. plén., n° 4).
Ensuite, la Cour de cassation a admis la transcription de la mention d’un acte attribuant la paternité au père biologique, mais non de celle attribuant la maternité à son épouse, contre la réalité de l’accouchement (Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, nos 16-16.901 et 16-50.025) et autorisé l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né à la suite d’une GPA, si les conditions légales, notamment le consentement de la mère, sont réunies (Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, n° 16-16.455).

Dans chacune de ces deux affaires, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, 26 juin 2014, aff. 65192/11, précité et CEDH, 21 juill. 2016, aff. 10410/14). Elle a considéré que le refus de transcription de l’acte de naissance de ces enfants nés d’un processus de GPA affectait significativement le droit au respect de leur vie privée et posait une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour a estimé que cette analyse prenait un relief particulier lorsque l’un des parents d’intention était également le géniteur de l’enfant. Elle en a déduit qu’en faisant obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État était allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation.

L’Assemblée plénière, le 5 octobre a répondu en deux temps.
Tout d’abord elle a confirmé l’évolution de sa jurisprudence, tirant les conséquences de la position de la Cour européenne, marquée par les arrêts rendus en assemblée plénière le 3 juillet 2015 précités et a rappelé que l’existence d’une convention de GPA ne fait pas nécessairement obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi à l’étranger dès lors qu’il n’est ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité biologique.
Ensuite, interrogée sur la nécessité, au regard de l’article 8 de la Convention d’une transcription des actes de naissance en ce qu’ils désignent la "mère d’intention", indépendamment de toute réalité biologique, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a estimé que l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent les États parties à cet égard demeure incertaine au regard de la jurisprudence de la Cour européenne. Elle a donc décidé de surseoir à statuer a adressé une demande d’avis consultatif à la Cour européenne des droits de l’homme.

Cet avis très attendu vient d’être rendu le 10 avril 2019 par la juridiction strasbourgeoise. Il s’agit du premier avis consultatif de la Cour sur l’application ou l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses protocoles additionnels (à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er août 2018, du Protocole additionnel n°16 à la Convention européenne).

La Cour à l’unanimité est d’avis que pour le cas d’un enfant né à l’étranger par gestation GPA et issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse et alors que le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne :
— le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale » ;
— le droit au respect de la vie privée de l’enfant ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle l’adoption de l’enfant par la mère d’intention.

La Cour de cassation ayant suris à statuer dans l'attente de cet avis, l'épilogue de cette saga sera donc prochainement donné par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation... Affaire encore à suivre ! 
Source : Actualités du droit