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L’obligation fiscale limitée d’un contribuable dans un État est sans incidence sur sa qualité de résident

Civil - Fiscalité des particuliers
15/09/2020
Par une décision du 9 juin 2020, le Conseil d’État précise la notion de « résident d’un État contractant » au sens des conventions fiscales en affirmant qu’un contribuable peut être considéré comme résident d’un État alors qu’il y ait imposé uniquement sur ses revenus de source locale et non pas sur ses revenus mondiaux.
Par Alicia OUAKNINE, étudiante du Master 2 Droit du patrimoine professionnel (223), Université Paris-Dauphine
Rédigé sous la direction de Maître Stéphane DE LASSUS, Associé, Charles Russell Speechlys Société d’Avocats

Après s’être installé à Shanghai avec sa famille, M. A a perçu des dividendes de source française en 2013 et 2014. Ayant été soumis au taux de retenue à la source de 30 % alors en vigueur (CGI, art. 119 bis, 2), le contribuable a demandé l’application du taux conventionnel de 10 % prévu par l’article 9 de la convention fiscale franco-chinoise du 30 mai 1984. Cette demande lui a été refusée au motif qu’il n’était pas imposé en Chine à raison desdits dividendes. Plus précisément, l’administration fiscale française lui refusait l’application de la convention franco-chinoise du fait de son obligation fiscale limitée à ses seuls revenus de source chinoise.
 
Dans une décision du 9 juin 2020, le Conseil d’État a eu à se positionner sur la notion de résidence fiscale, au regard de la convention fiscale franco-chinoise, d’un contribuable assujetti à l’impôt à raison de ses seuls revenus locaux et non mondiaux.   
 
1. L’interprétation stricte de la convention fiscale franco-chinoise : le critère du lien personnel désormais suffisant pour établir une domiciliation fiscale
 
La qualification de résident d’un État contractant a toujours été source de débat juridictionnel.
 
En France, est résident le contribuable qui répond aux critères de domiciliation posés par l’article 4 B du CGI, à savoir :  
– avoir en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;
– exercer en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins que cette activité soit exercée à titre accessoire ;
– avoir en France le centre de leurs intérêts économiques.
 
Ces critères sont alternatifs en ce sens qu’il suffit qu’un seul critère soit rempli pour que la domiciliation soit établie.
 
Conformément à la législation fiscale française, la résidence fiscale influe sur l’étendue fiscale. Ainsi, selon l’article 4 A du CGI, les non-résidents ont en France une obligation fiscale limitée : ils n’y sont imposables que sur leurs revenus de source française. A contrario, les résidents ont une obligation fiscale illimitée et sont imposables en France sur leurs revenus mondiaux.
 
Les conflits de résidence fiscale ne se posent qu’en présence d’une dimension internationale comme par exemple lorsqu’un contribuable vit à l’étranger mais a des biens en France. Si tel est le cas, ce sont les éventuelles conventions fiscales internationales qui permettront de trancher le litige. En effet, l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 fait primer ces dernières sur le droit interne : celui-ci s’applique subsidiairement au droit conventionnel.
 
En l’espèce, l’article 4 de la convention franco-chinoise du 30 mai 1984 considère comme résident fiscal chinois « toute personne qui, en vertu de la législation fiscale de cet État, est assujetti à l’impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction générale ou de toute autre critère analogue ».
 
C’est sur ce fondement que M. A, résidant à Shanghai avec sa famille, s’estimait résident fiscal chinois ; l’imposition de ses revenus chinois découlant justement de cette domiciliation. Pourtant, la cour administrative d’appel, tout comme le tribunal administratif de Montreuil, objectaient que dès lors qu’il n’est soumis qu’à une obligation fiscale limitée en Chine, il ne pouvait pas bénéficier des avantages conventionnels et, par suite, du taux conventionnel de 10 %.  
C’est ainsi que la question a été soumise au Conseil d’État.
 
2. Une prise de position confirmée : l’absence d’incidence de l’obligation fiscale sur la résidence fiscale d’un contribuable
 
La position des juridictions du fond est simple : le fait d’être soumis à une obligation fiscale limitée dans un État ne permet pas à un contribuable d’en alléguer la qualité de résident. Par conséquent, comme n’étant pas résident français au sens de l’article 4 B du CGI ni chinois aux yeux de l’administration fiscale, le contribuable ne pouvait pas invoquer la convention internationale ni le bénéfice du taux conventionnel.  C’est pourquoi la demande de restitution de l’impôt payé par M. A était jusqu’ici refusée.
 
Ce raisonnement n’est pas conforme aux stipulations de la convention. En effet, comme expliqué précédemment, l’article 4 B du CGI conditionne la qualité de résident à l’imposition à raison du domicile, de la résidence ou d’un lien personnel analogue. En aucun cas la convention ne subordonne l’octroi de la qualité de résident de l’un des États membres à l’étendue de son obligation fiscale dans ledit État. Le principe d’interprétation littérale des conventions se matérialise ici sous la plume du Conseil d’État.
 
De fait, il est effectivement précisé que pour bénéficier de la qualité de résident fiscal Chinois, le contribuable doit être assujetti à l’impôt en Chine, mais l’étendue de cette obligation n’est pas définie. En effet, la rédaction de la convention franco-chinoise de 1984 n’exclut pas, dans sa définition d’un résident chinois, qu’un contribuable ait une obligation fiscale limitée (i.e. dont les seuls revenus pris en compte dans l’établissement de l’impôt en Chine sont les revenus de source locale). Dès lors, l’absence d’imposition des dividendes de source française en Chine est sans incidence à l’application de l’article 9 de la convention franco-chinoise dans sa rédaction en date des années en cause. Ainsi, le Conseil d’État confirme son interprétation de la notion de résidence fiscale déjà exprimée dans l’arrêt Moghadam du 24 janvier 2011 où il avait jugé que l’assujettissement d’un contribuable à l’impôt dans un État ne suffisait pas à le qualifier de résident au regard de la convention franco-allemande applicable au cas d’espèce (CE, 24 janv. 2011, n° 316457).
 
Deux précisions doivent être apportées quant à la portée de cette décision. La première tient à ce qu’elle n’a pas vocation à s’appliquer aux litiges postérieurs au 1er janvier 2015. En effet, le Conseil d’État était amené à statuer sur la convention telle qu’en vigueur depuis le 30 mai 1984. Or, force est de constater que ladite convention a été modifiée en 2013 pour s’adapter aux standards de l’OCDE et prévoit désormais que « l’expression de résident d’un État contractant ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cet État que pour les revenus de sources situées dans cet état ou pour la fortune qui y est située ». Cette réforme est entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2015.
 
La seconde consiste à ne pas généraliser la solution rendue à l’ensemble des conventions fiscales : ce qui vaut pour les relations franco-chinoises ne vaut pas nécessairement pour les autres États. La notion de résident fiscal d’un État contractant doit être appréciée conformément aux stipulations de la convention fiscale applicable au cas d’espèce. En effet, comme en témoigne l’exemple de la Suisse, l’étendue de l’obligation fiscale d’un contribuable est de nature à impacter sa résidence fiscale au sens du droit conventionnel.
Source : Actualités du droit