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Responsabiliser les conseils c’est bien, jouer carte sur table c’est mieux !

Civil - Personnes et famille/patrimoine
15/09/2020
L’administration fiscale a publié, le 29 avril 2020, ses commentaires relatifs à la nouvelle obligation déclarative des dispositifs transfrontières potentiellement agressifs. Alors que des précisions étaient attendues avec impatience par les professionnels concernés, le BOFiP-Impôts reste flou sur le sujet.
Par Alexandra CHAMP, étudiante du Master 2 Droit du patrimoine professionnel (223), Université Paris-Dauphine
Rédigé sous la direction de Maître Pierre CENAC, Notaire

Perplexe. C’est le sentiment que les praticiens peuvent avoir à la lecture des commentaires administratifs sur les dispositions issues de la directive européenne DAC 6 (Dir. Cons. (UE) 2018/822, 25 mai 2018).
En cause, la nouvelle obligation déclarative des dispositifs transfrontières potentiellement agressifs s’imposant prioritairement aux intermédiaires. Ces derniers devront déclarer aux autorités fiscales les schémas qui comportent un marqueur indiquant un risque d’évasion fiscale. S’il est légitime d’impliquer les conseils et d’envisager leur responsabilité pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, il est étonnant que la loi et le BOFiP-Impôts soient aussi nébuleux. Responsabilité pénale, civile, risque réputationnel… On l’aura compris la réglementation est lourde de conséquences pour les praticiens. Pourtant, ils devront composer avec un champ d’application obscur (1) et seront au cœur du dispositif, faisant peser sur eux une nouvelle responsabilité (2).
 
1. Un champ d’application obscur
 
Face à une réglementation dangereuse pour les intermédiaires, on peut s’étonner, voire s’offusquer, que les conditions d’application soient aussi confuses. Le « dispositif transfrontière » et « l’avantage principal » ne sont que des concepts flous qui auraient mérité davantage de précisions.
 
Un « dispositif transfrontière » difficilement identifiable 
 
La définition nébuleuse retenue par le BOFiP a de quoi inquiéter les conseils. Ces derniers attendaient les précisions de la doctrine fiscale pour pouvoir remplir leurs obligations.  Étrangement, elle n’a fait qu’étendre la définition légale en listant des termes généraux rendant difficile l’identification des opérations concernées. Le dispositif transfrontière correspond à tout entente, mécanisme, transaction ou série de transactions, impliquant la France et un autre État.  Il recouvre aussi la création, l’attribution, l’acquisition ou le transfert du revenu lui-même ou de la propriété ou du droit au titre duquel le revenu est dû et la constitution, acquisition ou la dissolution d’une personne morale.  En l’absence de contours précis des divergences d’interprétations, sources de conflits, risquent d’apparaître. Ainsi, qu’en est-il de la purge de la plus-value grevant des titres dans un État traitant favorablement les gains en capital avant un transfert de résidence fiscale en France ? Espérons que le conseil qui ignore qu’un élément d’extranéité va rendre le dispositif déclarable ne soit pas sanctionné !
 
En retenant cette définition, l’administration fiscale tente certainement de prendre dans ses filets de nombreuses opérations lui échappant mais menace la sécurité juridique, principe général du droit de l’Union. Le Conseil constitutionnel a déjà censuré une disposition retenant une définition « générale et imprécise de la notion de schéma d’optimisation fiscale » mais curieusement cela ne semble pas avoir freiné le législateur et l’administration. De plus, les règles n’étant pas uniformes dans chaque pays, le champ d’application du texte sera fonction de l’interprétation des États. Force est de constater que les déclarants ne peuvent pas compter sur le caractère prévisible du droit applicable et qu’ils exercent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
 
 L’appréciation floue de l’« avantage principal »
 
La célèbre condition de « l’avantage principal » imposée par certains marqueurs manque toujours de clarté. Après avoir rappelé qu’il s’agit d’un avantage fiscal, la doctrine administrative propose d’examiner le critère du « caractère principal » selon une approche quantitative visant à comparer « la valeur de l’avantage fiscal obtenu par rapport à la valeur des autres avantages retirés » sans prendre en compte l’intention des parties. La détermination des critères reposerait sur une question de faits ce qui est source d’incertitudes surtout en matière patrimoniale où il est difficile de quantifier un avantage non fiscal.
En outre, le critère « d’avantage principal » fait étonnamment penser au « mini-abus de droit » qui réprime les schémas à but principalement fiscal. L’administration propose aussi dans le cadre de cette procédure de comparer l’avantage fiscal et l’avantage non fiscal procuré par l’opération. Ainsi, en déclarant le dispositif transfrontière les parties ne pourraient-elles pas avouer un abus de droit ? Pour rassurer les déclarants, soulignons qu’au regard des commentaires sur le sujet, le terme « principal » pourrait signifier « qui joue un rôle essentiel » et non « qui a une valeur supérieure ».
 
2. Les conseils en première ligne
 
On finit par se demander si ce sont les montages abusifs ou les professionnels qui sont dans le viseur du législateur. Le large spectre de conseils contraints de dénoncer leur client est troublant. De plus, il est aisé de prédire une augmentation de l’engagement de la responsabilité des professionnels alors qu’il est difficile d’anticiper les schémas soumis à déclaration.
 
Un large spectre de conseils visés
 
Le législateur européen englobe dans la notion d’intermédiaire une multitude d’acteurs, traduisant sa volonté de faire participer les praticiens à la lutte contre la planification fiscale agressive. Le BOFiP rappelle qu’elle concerne soit la personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière, soit celle qui a connaissance que ses services ont été rendus dans le cadre d’un dispositif transfrontière déclarable. À travers cette définition tarabiscotée, on devine qu’aussi bien les professionnels du droit que du chiffre sont visés. Ils devront donc être vigilants sur le rôle qu’ils joueront dans la mise en place d’un schéma transfrontière.
 
Bercy affirme que le secret professionnel est protégé ; on peut en douter. Il est prévu que l’intermédiaire soumis au secret professionnel qui n’a pas obtenu l’accord de son client est dispensé de déclaration mais il devra notifier l’obligation aux personnes à qui elle incombe et dont il a connaissance, ce qui implique une coordination entre les conseils. Si l’obligation pèse sur le contribuable, l’intermédiaire devra lui communiquer les informations dont il dispose. En cas de contrôle, le contribuable pourrait divulguer aux autorités les documents du professionnel, y compris ceux, couverts par la confidentialité. Soulignons que l’objectif de lutte contre les montages abusifs prime parfois sur le secret professionnel. En effet, dans une affaire récente concernant J. Hallyday, le fisc s’est appuyé sur des notes de travail rédigées par un avocat pour redresser le chanteur. La Cour d’appel de Versailles a refusé de faire primer le secret professionnel ; ce qui ne cessera pas d’alimenter l’inquiétude des conseils.
 
Une responsabilité accrue
 
L’obligation apparaît comme un véritable fardeau pour les professionnels. Ils devront jongler avec les nombreux dispositifs anti-abus en vigueur et déclarer les mêmes informations à plusieurs reprises. L’objectif est clair : décourager la mise en œuvre de tels schémas d’optimisation en s’attaquant directement au conseil.
 
Naturellement, la pluralité d’obligations pourrait s’accompagner d’un cumul des sanctions. À noter que les manquements à l’obligation de déclaration sont sanctionnés par une amende qui ne peut excéder 10 000 €.  Dans un contexte de répression visant les intermédiaires, on pourrait craindre aussi l’engagement de la responsabilité civile et pénale des praticiens à l’origine du montage. La situation serait paradoxale : le conseil avouerait sa culpabilité.
Source : Actualités du droit